69 Rhône

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Colonie de Vienne, et dès sa naissance ennemie de sa mère, Lyon si favorablement située au confluent de la Saône et Rhône, presque adossée aux Alpes, voisine de la Loire, voisine de la mer par l'impétuosité de son fleuve qui y porte d'un trait, semblait, au temps de la domination romaine, un oeil de l'Italie ouvert sur les Gaules.

Cette pointe de Rhône et le la Saône semble avoir été toujours un lieu sacré. Les Segusii de Lyon dépendaient du peuple druidique des Edues. Là, soixante tribus de la Gaule dressèrent l'autel d'Auguste, et Galigula y établit ces combats d'éloquence où le vaincu était jeté dans le Rhône, s'il n'aimait mieux effacer son discours avec sa langue. A sa place, on jetait des victimes dans le fleuve, selon le vieil usage celtique et germanique ; on observait la manière dont elles tourbillonaient pour en tirer des présages de l'avenir. On montre, au pont de Saint-Nizier, l'arc merveilleux d'où l'on précipitait les taureaux.

La fameuse table de bronze, où on lit encore le discours de Claude pour l'admission des Gaulois dans le sénat, est la première de nos antiquités nationales, le signe de notre initiation dans le monde civilisé. Une autre initiation d'un autre caractère, a son monument dans les catacombes de Saint-Irénée, dans la crypte de Saint-Pothin, dans Fourvières, la montagne des pélerins. Lyon fut le siège de l'administration romaine, puis de l'autorité ecclésiastique pour les quatres Lyonnaises (Lyon, Tours, Sens et Rouen), c'est-à-dire pour toute la Celtique. Dans les terribles bouleversements des premiers siècles du moyen âge, cette grande ville ecclésiastique ouvrit son sein à une foule de fugitifs, et se peupla de la dépopulation générale, à peu près comme Constantinople concentra peu à peu en elle tout l'empire grec, qui reculait devant les Arabes et les Turcs.

Cette population n'avait ni champs ni terres, rien que ses bras et son Rhône ; elle fut industrielle et commerçante. L'industrie y avait commencé dès les romains. Nous avons des inscriptions tumulaires : A la mémoire d'un vitrier africain, habitant de Lyon, A la mémoire d'un vétéran des légions, marchand de papier. Cette fourmillière laborieuse, enfermée entre les rochers et la rivière, entassée dans les rues sombres qui y descendent, sous la pluis et l'éternel brouillard, elle eut sa vie morale pourtant et sa poésie.

Jules Michelet, Notre France, 1886